Incitation à la prescription : Un enjeu de santé publique

Arrêté du 30 août 2022 modifiant l’arrêté du 19 avril 2021 relatif à l’expérimentation pour l’incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville JO n°0207 du 7 septembre 2022
Eléonore Scaramozzino, Avocate Partenaire, Constellation Avocats
Le premier médicament biosimilaire autorisé en 2006 en Europe était une hormone de croissance. Depuis, de nombreux médicaments biosimilaires ont été commercialisés, touchant des aires thérapeutiques très différentes (endocrinologie, rhumatologie, gastro-entéro-pathologie, immunologie, cancérologie…. Le recours aux biosimilaires présente un double intérêt. Il permet d’offrir une plus grande sécurité d’approvisionnement des médicaments biologiques concernés en augmentant le nombre d’alternatives thérapeutiques disponibles, et de dégager des marges d’efficience sur ces classes de médicaments pour permettre la prise en charge d’autres traitements thérapeutiques plus coûteux et plus innovants. L’augmentation de la prescription de médicaments biologiques efficients, moins onéreux, à la place des médicaments de référence, génère une économie pour l’assurance maladie. Cependant, le taux de recours aux biosimilaires et aux spécialités biologiques les plus efficientes récemment arrivés sur le marché reste faible. Des mécanismes d’incitation au recours à ces médicaments et des expérimentations sont été mis en oeuvre.
Définition d’un médicament biosimilaire
Un médicament biosimilaire est similaire à un médicament biologique de référence qui a été autorisé en Europe depuis plus de 8 ans et dont le brevet est tombé dans le domaine public. Les médicaments biologiques ou biomédicaments sont des substances produites à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant ou dérivée de ceux-ci. Ils sont obtenus par un procédé biotechnologique qui implique une source biologique (protéines, cellules…). Toutefois, du fait de leur procédé de production, les médicaments biosimilaires ne peuvent être strictement identiques aux produits de référence ; le principe de substitution, valable pour les médicaments chimiques et les génériques qui sont leurs copies, ne peut pas s’appliquer automatiquement. Ces différences n’ont pas d’impact sur l’activité biologique du produit ni sur sa sécurité. Leur efficacité et leur sécurité sont garanties par un niveau d’exigence identique à celui du médicament de référence.
Selon l’ANSM, « ce médicament doit avoir des propriétés physico-chimiques et biologiques similaires, la même substance pharmaceutique et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence. Enfin, l’efficacité et la sécurité doivent être équivalentes au médicament de référence ».
Selon l’article L. 5121-1-15 du code de la santé publique, un médicament biologique ne peut être qualifié de ” médicament biologique similaire ” que s’il a la même composition qualitative et quantitative en substance active que le médicament biologique de référence, ainsi que la même forme pharmaceutique.
Médicament biologique similaire à un médicament de référence
Le concept de biosimilarité repose sur le principe essentiel de la comparaison de deux médicaments issus de la biotechnologie, l’un étant le médicament de référence, autorisé depuis plus de 8 ans dans l’Union européenne, et l’autre étant le médicament qui souhaite être déclaré biosimilaire au médicament de référence. L’évaluation de médicaments biosimilaires diffère sensiblement de celle des médicaments génériques issus de la synthèse chimique. En effet, la comparaison entre un médicament biologique de référence et son biosimilaire supposé porte sur une analyse extensive et comparée des propriétés physico-chimiques et biologiques (qualité), pharmacodynamique, toxicologique (sécurité) et enfin cliniques (efficacité et tolérance). Une nouvelle réglementation a été mise en place pour permettre le développement et l’enregistrement de médicaments biologiques, similaires à des médicaments biologiques de référence et dont les brevets étaient tombés dans le domaine public.
Sur le plan de l’efficacité, il arrive que les critères de jugement utilisés pour le médicament de référence s’avèrent trop compliqués et peu sensibles pour détecter une éventuelle différence. Le choix des critères de comparaison ne se fait donc pas seulement en fonction d’une pertinence clinique directe mais aussi en fonction de la capacité du critère à distinguer des différences. L’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) n’est donc pas délivrée sur la seule base d’une démonstration de la bioéquivalence pharmacocinétique telle que requise pour les génériques de médicaments chimiques. Ainsi, et contrairement aux produits génériques, le dossier de demande d’AMM repose tout d’abord sur une notion de comparaison avec un médicament choisi comme référence et surtout nécessite de soumettre des données dans les trois domaines que sont : i) la qualité pharmaceutique, ii) la sécurité, et iii) l’efficacité clinique.
La mise sur le marché des médicaments biologiques (médicaments de référence et médicaments biosimilaires) s’accompagne d’un dispositif de surveillance mis en place par le titulaire de l’AMM à la demande des autorités de santé et suivant des recommandations adaptées à chaque médicament. Ce dispositif comporte les mêmes mesures particulières que pour le médicament biologique de référence, mais aussi la surveillance du profil immunologique du médicament biosimilaire.
Le médicament biologique de référence et ses médicaments biologiques similaires, sont regroupés au sein de la liste de référence des groupes biologiques similaires établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (Article L. 5121-1-15 b) du CSP).
Un taux de pénétration des biosimilaires sur le marché des médicaments faible par rapport aux génériques
Le développement des médicaments biosimilaires permet d’augmenter le nombre de médicaments biologiques disponibles sur le marché et de limiter les risques de rupture de stock. Les médicaments biosimilaires ont des prix inférieurs à ceux des médicaments de référence. Ils permettent ainsi de maîtriser les dépenses de santé. La concurrence par les prix permise par ces alternatives permet également de dégager des marges de manœuvre financière pour faciliter la prise en charge de nouvelles innovations médicamenteuses. Pour les établissements de santé, l’arrivée sur le marché de spécialités biologiques plus efficientes que les spécialités de référence permet une meilleure concurrence entre laboratoires pharmaceutiques, et donc de plus grandes capacités de négociation par les établissements de santé lors de l’achat de ces produits. Cependant, le taux de recours aux biosimilaires et aux spécialités biologiques les plus efficientes récemment arrivés sur le marché reste faible, par rapport à la pénétration observée pour les médicaments génériques, qui peuvent remplacer de manière similaire des médicaments chimiques ayant perdu leur brevet.
Les mécanismes d’incitation au recours aux médicaments biosimilaires et aux médicaments biologiques efficients
Incitation à la Prescription des biosimilaires par les médecins libéraux conventionnés : dispositif d’intéressement
Avenant 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie du 25 aout 2016[1]
Afin de valoriser l’engagement des médecins libéraux de ville dans une démarche de qualité et d’efficience des prescriptions, inédite en médecine de ville, un dispositif d’intéressement à la prescription des médicaments biosimilaires, prescrits à la place des médicaments biologiques de référence, ou bioréférents[2] a été instauré. Ce dispositif d’intéressement des médecins libéraux à la prescription des médicaments biosimilaires est issu de la négociation de l’avenant 9 signé le 30 juillet 2021[3] est entré en vigueur le 1er janvier 2022. Il concerne l’ensemble des médecins libéraux conventionnés.
Ce mécanisme incitatif pour les médecins de ville s’inscrit dans la continuité des incitations financières à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires délivrés en ville déjà proposées aux établissements de santé. Le mécanisme d’intéressement s’applique à l’ensemble des médecins adhérents à la convention nationale des médecins libéraux n’ayant pas notifié avant le 25 décembre 2021 leur refus de bénéficier de celui-ci à la caisse d’assurance maladie dont ils relèvent. Cet intéressement est effectif pour les prescriptions réalisées à partir du 1er janvier 2022. Les premiers versements auront lieu en 2023 au titre des changements de prescriptions réalisées en 2022.
Substitution biosimilaire limitée à 2 groupes par la LFSS 2022
La première Loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2014, qui avait autorisé la substitution biosimilaire (avant d’être supprimée par la LFSS 2020), n’avait jamais fait l’objet d’une publication de mesures réglementaires nécessaires à sa mise en œuvre. La substitution biosimilaire, acte pharmaceutique a été réintroduite en 2022. En effet, l’article 64 de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 (la « LFSS pour 2022 ») réintègre dans le code de la santé publique des dispositions relatives à la substitution par le pharmacien d’un médicament biologique prescrit par un médicament biologique similaire (article L 5125-23).
La LFSS pour 2022 a distingué deux listes différentes de biosimilaires (un périmètre de 6 molécules pour les médecins et de 2[4] pour les pharmaciens) et des mécanismes d’incitation différents
L’arrêté du 12 avril 2022[5], pris en application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022, a lancé officiellement la substitution des médicaments biosimilaires par le pharmacien d’officine. Il fixe la liste des groupes biologiques similaires substituables par le pharmacien d’officine, à savoir le filgrastim et le pegfilgrastim. Ces deux médicaments sont utilisés pour pallier les déficits sévères de globules blancs notamment chez les patients souffrant de cancer et traités par chimiothérapies. La liste publiée diffère de celle étudiée en concertation avec l’ensemble des parties prenantes (patients, médecins, pharmaciens, industriels et pouvoirs publics). Le pharmacien d’officine peut donc substituer des médicaments biosimilaires à des médicaments biologiques de référence. L’article L. 5125-23-2 du CSP précise les conditions qui doivent être réunies pour que le pharmacien puisse délivrer un médicament biologique similaire par substitution au médicament biologique prescrit. En effet, le pharmacien peut directement substituer un médicament à celui prescrit, à condition que les deux médicaments soient interchangeables, sans en référer au prescripteur, et sous condition que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité.
Expérimentation pour l’Incitation à la Prescription hospitalière des médicaments biologiques efficients exécutée en ville :
L’arrêté du 30 aout 2022 modifiant l’arrêté du 19 avril 2021 relatif à l’expérimentation pour l’incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques délivrés en ville a été publié avec son cahier des charges du schéma d’incitation retenu dans cette expérimentation au JO du 7 septembre 2022.
Contexte : Annulation des arrêtés par le Conseil d’Etat
Cet arrêté fait suite à l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er aout 2022, qui annule les arrêtés des 19 avril 2021, 30 septembre 2021, 15 décembre 2021 et 31 mars 2022 en tant qu’ils s’appliquent a` la spécialité Toujeo. Pour le Conseil d’Etat, les mesures d’incitation ainsi prises ne pouvaient légalement concerner des médicaments n’appartenant pas au même groupe générique ou au même groupe biologique similaire, mais ayant simplement en tout ou partie les mêmes indications thérapeutiques, sans qu’il soit justifié des conditions dans lesquelles la prescription d’une spécialité biologique similaire peut être regardée comme plus pertinente et plus efficiente.
Dans son arrêt du 31 décembre 2019, 1ère et 4ème chambre réunies. le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé sur le statut de l’antidiabétique Toujeo, inclus parmi les ” médicaments référents ” du ” groupe insuline glargine ” dans le cahier des charges de l’arrêté du 3 août 2018 relatif à l’expérimentation pour l’incitation à la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires délivrés en ville, puis par l’arrêté du 12 février 2019 ayant le même objet qui l’a abrogé et remplacé.
« le cahier des charges annexé à l’arrêté du 3 août 2018 précise à son point 8 que le calcul de rémunération repose sur l’écart de prix existant entre un médicament biosimilaire et le ou les médicaments biologiques de référence ” au sens de l’instruction ” du 19 février 2018, laquelle inclut la spécialité Toujeo parmi les ” médicaments référents ” du ” groupe insuline glargine “. De même, le cahier des charges annexé à l’arrêté du 12 février 2019 précise que ce calcul repose sur l’écart de prix existant entre un médicament biosimilaire et le ou les médicaments biologiques de référence ” au sens de la présente expérimentation “, qui inclut Toujeo parmi les ” médicaments référents ” du ” groupe insuline glargine “. Si le cahier des charges annexé à l’arrêté du 3 août 2018 comporte à son point 1 une note de bas de page et celui annexé à l’arrêté du 12 février 2019 une mention au point 1 selon laquelle les groupes de médicaments sélectionnés ” sont comparables mais ne correspondent pas nécessairement aux groupes de médicaments biologiques similaires tels que définis par l’article L. 5121-1 ” du code de la santé publique, ils ne précisent aucunement les conditions dans lesquelles la prescription d’une spécialité biologique similaire à Lantus devrait être regardée comme plus pertinente et plus efficiente que celle de Toujeo mais présentent les médicaments biosimilaires de Lantus comme étant également des médicaments biosimilaires de Toujeo ».
De même, les arrêtés des 19 mars et 29 mai 2019 relatifs à l’efficience et la pertinence de la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires délivrés en ville, faisaient figurer Toujeo au nombre des médicaments ” référents ” du ” groupe insuline glargine “, sans préciser aucunement les conditions dans lesquelles la prescription d’une spécialité biologique similaire à Lantus devrait être regardée comme plus pertinente et plus efficiente que celle de Toujeo, et présentent les médicaments biosimilaires de Lantus comme étant également des médicaments biosimilaires de Toujeo.
Dès lors, le Conseil d’Etat avait annulé es arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l’action et de comptes publics des 3 août 2018, 12 février 2019, 19 mars 2019 et 29 mai 2019 en tant qu’ils s’appliquent à la spécialité Toujeo.
Objectif de cette expérimentation
Cette expérimentation vise à évaluer l’intérêt d’un dispositif prévoyant spécifiquement l’incitation des services (ou pôles d’activité) prescripteurs à un plus grand recours à la prescription de médicaments biologiques efficients, lorsque la prescription est exécutée en ville. Elle est conduite par la direction de la sécurité sociale et la direction générale de l’offre de soins, en lien avec les ARS et les caisses d’assurance maladie.
Cette expérimentation vise à évaluer l’intérêt d’un dispositif prévoyant spécifiquement l’incitation des services (ou pôles d’activité) prescripteurs à un plus grand recours à la prescription de médicaments biologiques efficients, lorsque la prescription est exécutée en ville. Cette rémunération porte sur les classes de médicaments pour lesquels des médicaments biologiques comparables ont récemment été admis au remboursement, et dont la prescription est au moins pour partie hospitalière mais exécutée en ville. Pour chaque classe ATC (Anatomique, thérapeutique et chimique, classification reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS) de médicaments concernés par le présent arrêté, sont définies au sein des spécialités partageant des indications thérapeutiques superposables, les spécialités biologiques efficientes de la classe au regard de l’article L. 162-22-7-4 du code de la sécurité sociale et les spécialités de référence correspondantes.
Les classes de médicaments retenues
Les classes de médicaments retenues sont comparables mais ne correspondent pas nécessairement aux groupes de médicaments biologiques similaires tels que définis par l’article L. 5121-1 du code de la santé publique. Elles concernent : i) l’étanercept (classe ATC L04AB01 étanercept) ; ii) l’insuline glargine (classe ATC A10AE04 insuline glargine) ; iii) l’adalimumab (classe ATC L04AB04 adalimumab).
Pour chaque groupe de médicaments concerné par l’expérimentation, sont définis les médicaments « efficients » de la classe et les médicaments « référents » correspondants. La liste des médicaments « référents » peut contenir des médicaments proches ou équivalents au médicament biologique de référence du ou des médicaments biosimilaires considérés dans le groupe « efficients ».
Evaluation de l’impact de la rémunération incitative
Les établissements participant à l’expérimentation recevront une rémunération incitative à la prescription de médicaments biologiques efficients. Le niveau de cette rémunération dépend de la proportion de patients suivant un traitement biologique efficient (par rapport au traitement de référence), et du nombre total de patients suivis par le ou les services hospitaliers prescripteurs. Le projet permet de verser aux établissements, pour les services concernés, une partie des économies générées par la prescription de médicaments biologiques efficients, plutôt que de médicaments de référence correspondant.
L’évaluation de l’expérimentation vise à déterminer si la mise en place de la rémunération incitative pour les services hospitaliers participant a permis d’accélérer la croissance du taux de pénétration des médicaments biologiques efficients pour les classes concernées. Il s’agit donc d’une évaluation de l’impact propre de la rémunération incitative.
L’expérimentation est financée par le fonds pour l’innovation du système de santé mentionnée à l’article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale. Ce financement concerne uniquement la rémunération des établissements prévue par l’expérimentation. L’évaluation est réalisée sous la responsabilité de la DREES et sera remise au plus tard 6 mois après la fin de l’expérimentation.
[1] Arrêté du 22 septembre 2021 portant approbation de l’avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016-JORF n°0224 du 25 septembre 2021
[2] 6 substances actives : étanercept, adalimumab, follitropine alpha, énoxaparine, tériparatide et insuline asparte.
[4] pegfilgratim et filgrastim
[5] Arrêté du 12 avril 2022 fixant la liste des groupes biologiques similaires substituables par le pharmacien d’officine et les conditions de substitution et d’information du prescripteur et du patient telles que prévues au 2° de l’article L. 5125-23-2 du code de la santé publique, JO n°0088 du 14 avril 2022.
