Décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022

Focus sur les cavaliers sociaux relatifs à la rénovation du parcours de soins et des dépenses de produits de santé
Eléonore Scaramozzino, Avocate, Constellation Avocats
Par sa décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 (LFSS). Il valide la procédure de recours à l’article 49.3 de la Constitution, et, censure 12 dispositions de la loi, deux comme étant anticonstitutionnelles, les 10 autres comme des « cavaliers sociaux », c’est-à-dire comme ne relevant pas du champ des lois de financement de la sécurité sociale défini par les articles L.O. 111-3-2 à L.O. 111-3-8 du code de la sécurité sociale.
Procédure de recours à l’article 49.3 de la Constitution et sincérité de la LFSS 2022
Sur les conditions du recours au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, le Conseil constitutionnel rappelle que l’exercice de la prérogative ainsi conférée au Premier ministre n’est soumis à aucune autre condition que celles posées par ces dispositions. En outre, le paragraphe I de l’article L.O. 111-7-1 du CSS, dans sa rédaction applicable à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, prévoit l’ordre dans lequel sont mises en discussion les différentes parties de la loi de financement de la sécurité sociale de l’année. Ces dispositions subordonnent la discussion d’une partie de la loi de financement de l’année au vote de la précédente et, s’agissant de la quatrième partie relative aux dépenses de l’année à venir, à l’adoption de la troisième partie relative aux recettes.
Le Conseil constitutionnel juge que, en engageant successivement la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote de la troisième partie, puis sur le vote de la quatrième partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, lors de son examen en première et en nouvelle lectures, la Première ministre a mis en œuvre cette prérogative dans des conditions qui ne méconnaissent ni le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution ni les exigences découlant du paragraphe I de l’article L.O. 111-7-1 du CSS.
Concernant la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes du 2 ° de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale, la loi de financement doit déterminer pour l’année à venir, les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale. Il en résulte que la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale de l’année se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qu’elle détermine.
Le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été fondé, pour l’année 2023, sur des prévisions de croissance du produit intérieur brut de 1 %, une hausse des prix à la consommation hors tabac de 4,2 % et une progression de la masse salariale privée de 5 %. Le Haut conseil des finances publiques a estimé que la prévision de croissance « supérieure à celle de la majorité des prévisionnistes, est, du fait de plusieurs hypothèses fragiles, un peu élevée ». Il a considéré que les deux prévisions tenant à l’évolution des prix et à la masse salariale étaient quant à elles « plausibles ». Il ne ressort ainsi ni de l’avis de ce dernier, ni des autres éléments soumis au Conseil constitutionnel, et notamment des prévisions de croissance du produit intérieur brut pour 2023 établies par différentes institutions, que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondée la loi de financement de la sécurité sociale sont entachées d’une intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre de la loi déférée. Le Conseil constitutionnel a considéré que l’examen des éléments soumis, dont notamment la baisse des dépenses liées à l’épidémie de Covid-19, les effets de mesures de soutien au secteur de la santé, la hausse des prix à la consommation sur les achats des établissements de santé n’établissait pas que ces prévisions pouvaient être considérées comme insincères. Si en cours d’année, ces prévisions et les conditions générales de l’équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale étaient remises en cause, il appartiendra au Gouvernement de soumettre au Parlement les ajustements nécessaires dans une loi de financement de la sécurité sociale rectificative.
Conditions de validité d’un arrêt de travail délivré dans le cadre d’une téléconsultation : contraires à la constitution
L’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale (CSS) prévoit le versement d’indemnités journalières à l’assuré dont l’incapacité physique de continuer ou de reprendre le travail a été constatée par un médecin.
Le 2 ° du paragraphe I de l’article 101 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS 2023) insère notamment au sein du CSS un nouvel article L 321-1-1 visant à prévoir les conditions dans lesquelles un arrêt de travail prescrit à l’occasion d’une téléconsultation donne lieu au versement d’indemnités journalières. Aux termes de ce nouvel article, les arrêts de travail délivrés dans le cadre d’une téléconsultation, par un médecin qui n’était ni le médecin traitant, ni un médecin déjà consulté depuis moins d’un an, ne pouvaient être pris en considération par l’assurance maladie pour le versement des indemnités journalières. Si ces dispositions visent à prévenir les risques d’abus liés à la prescription d’arrêts de travail dans le cadre d’une téléconsultation et poursuivre ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, cependant, le Conseil relève que l’absence de connaissance préalable du patient par le médecin, ne permet pas d’établir que l’arrêt de travail aurait été indûment prescrit. Par ailleurs, le non-versement de ces indemnités s’applique sans prendre en considération, l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous physique ou par téléconsultation avec le médecin traitant ou le médecin préalablement consulté depuis moins d’un an, et dès lors de respecter le délai imparti pour transmettre l’avis d’arrêt de travail à la Caisse d’Assurance Maladie. Il en résulte que ce nouvel article contrevient aux dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence »
En conséquence, le Conseil constitutionnel a déclaré le 2 ° du paragraphe I de l’article 101 de la loi déférée contraire à la Constitution.
Les cavaliers sociaux relatifs au parcours de soin et produits de santé
Le premier alinéa de l’article 47-1 de la Constitution dispose : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique ». Les articles L.O. 111-3-2 à L.O. 111-3-8 du CSS déterminent le contenu de la loi de financement de la sécurité sociale. Les requérants contestaient le rattachement à la loi de financement de la sécurité sociale, des articles 50, 52, relevant du Chapitre III « Accompagner les professionnels de santé et rénover le parcours de soins », le paragraphe IV de l’article 54, relevant du Chapitre IV « Rénover la régulation des dépenses de produits de santé ».
Sur le rattachement du pilotage par le gouvernement de certains travaux du Haut Conseil aux nomenclatures au domaine de la LFSS
L’article 50 prévoit que le Gouvernement définit la liste des prestations et actes réalisés par un professionnel de santé qui pourraient faire, en priorité, l’objet d’une révision.
Cet article instaure une priorisation des travaux conduits par le Haut Conseil aux nomenclatures (HCN), chargé de la refonte des nomenclatures des actes et prestations admis au remboursement dans le cadre de l’article L. 162-1-7 du CSS. Cela inclut à la fois la classification commune des actes médicaux (CCAM), la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), et la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM. Au total, 13 000 actes et prestations seraient concernés par ce travail de refonte des nomenclatures et des grilles tarifaires associées. Compte tenu d’une certaine lenteur des travaux du HCN et de l’urgence de la révision de la nomenclature, cet article prévoit que le Gouvernement établit chaque année une liste des actes et prestations devant faire l’objet d’une révision prioritaire au cours de l’année à venir.
Le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition n’a pas d’effet ou a un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elle ne relève pas non plus des autres catégories mentionnées aux articles L.O. 111-3-6 à L.O. 111-3-8 du CSS. Dès lors, elle ne trouve pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Elle est donc contraire à la Constitution.
Sur le rattachement de la Commission spécialisée dans l’évaluation des technologies diagnostiques de la HAS au domaine de la LFSS
L’article 52 insère un nouvel article L. 162-1-25 dans le CSS, qui institue une commission spécialisée au sein de la Haute Autorité de santé (HAS), compétente pour l’évaluation des technologies diagnostiques. L’ensemble des actes et produits de santé à visée diagnostique, pronostique ou prédictive entrent dans le champ de cette nouvelle commission. Devaient être évalués par cette Commission, notamment les actes d’imagerie, d’anatomocytopathologie, de médecine nucléaire, de biologie médicale, les médicaments diagnostiques associés à des actes d’imagerie (radio-pharmaceutiques, produits de contraste), ainsi que les dispositifs médicaux diagnostiques à usage individuel (autotests).
Ces techniques diagnostiques « sont pour le moment examinées par des commissions plutôt spécialisées dans l’évaluation thérapeutique, comme la commission de la transparence (CT) ou la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS), ou en mobilisant une inter-commission, qui est une organisation lourde très consommatrice en ressources », ce qui « peut impliquer un retard dans la prise en charge de certains actes ou produits par l’Assurance Maladie ».
Cette Commission complétait la réforme du fonctionnement du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) prévu par cette loi, dans la mesure où l’accélération de la sortie des actes du référentiel est conditionnée à leur évaluation par la HAS et leur inscription à la nomenclature. Ce qui implique l’octroi de plus de moyens à la HAS. D’ailleurs, la création de cette commission spécialisée répondait directement à un besoin exprimé par la HAS.
Le Sénat avait supprimé cet article, au motif qu’il serait dépourvu de tout impact sur les comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, et constituerait donc un « cavalier social ».
Le Conseil constitutionnel a confirmé la position du Sénat. Il a jugé que ces dispositions n’ont pas d’effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées aux articles L.O. 111-3-6 à L.O. 111-3-8 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution.
Sur le rattachement d’une remise de rapport sur le dispositif de référencement des médicaments au domaine de la LFSS
Le paragraphe IV de l’article 54 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1 er juillet 2023, un rapport évaluant l’intérêt, la faisabilité et les potentielles limites d’un dispositif de référencement périodique en vue d’en proposer une disposition dans un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce rapport doit, notamment à la lumière des dispositifs existant à l’étranger et de leur bilan, mettre en avant l’impact qu’une telle mesure pourrait avoir sur les pénuries et ruptures de médicaments et sur les éventuels effets sur les prix attendus. Ce rapport se concentre également sur le levier qu’un tel dispositif pourrait représenter pour favoriser le retour de la production de médicaments sur le territoire national.
Cette mesure avait été introduite par amendement du Gouvernement visant à faire évoluer le dispositif de référencement périodique proposé dans le projet initial de la loi de financement de la sécurité sociale 2023. La LFSS 2023 proposait un rapport au Parlement afin de donner davantage de visibilité au législateur sur les avantages et les limites éventuelles d’un tel dispositif en vue d’une éventuelle proposition de mesure lors d’un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la constitution cette disposition prévoyant la remise d’un rapport en méconnaissance de la règle de procédure prévue aux articles L.O. 111-3-2 à L.O. 111-3-8 du code de la sécurité sociale qui déterminent le contenu de la loi de financement de la sécurité sociale.
Dispositions de la LFSS 2023 contraires à la constitution
CS : cavalier social
Article 39 | Élargissement à de nouveaux professionnels de la permanence des soins ambulatoires | CS |
Article 42 | Encadrement de l’intérim médical et paramédical en établissement de santé | Censure par le CC |
Article 43 | Renforcer le contrôle des juridictions financières et organismes de contrôle administratif sur les cliniques privées | CS |
Article 45 | Ajustements apportés aux règles d’autorisations d’activités de soins | CS |
Article 50 | Priorisation de certains travaux du Haut Conseil aux nomenclatures | CS |
Article 52 | création d’une nouvelle commission spécialisée au sein de la Haute Autorité de santé. | CS |
Article 54 | Garantir l’accès aux médicaments et l’efficience de leur prise en charge rapport évaluant l’intérêt, la faisabilité et les potentielles limites d’un dispositif de référencement périodique des médicaments. | CS |
Article 74 | rapport évaluant le coût, pour les comptes publics et sociaux, de l’instauration d’un bilan visuel obligatoire à l’entrée dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. | CS |
Article 77 | Demande de rapport sur l’accès à l’allocation journalière du proche aidant pour les proches aidants de personnes malades du cancer | CS |
Article 89 | Suppression de la condition d’accord explicite du service du contrôle médical pour le renouvellement de l’allocation journalière de présence parentale | CS |
Article 90 | Garantir la continuité des ressources des salariés lors des congés maternité, d’adoption et de paternité et d’accueil de l’enfant | CS |
Article 101, I-2 | Encadrement de l’indemnisation des arrêts de travail prescrits dans le cadre d’une téléconsultation Arrêt de travail délivré dans le cadre d’une téléconsultation : validité si médecin traitant ou médecin consulté préalablement dans un délai de moins d’un an | censure par le CC |
