PLFSS 2023 et le financement des MTI

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Le choix du contrat de gestion de l’incertitude pour les thérapies innovantes : étalement du paiement en fonction des données d’efficacité

Une implémentation déconnectée de la réalité des thérapies innovantes et des biotech

Eléonore Scaramozzino, Avocate partenaire de Constellation Avocats.

L’Assemblée nationale a adopté le texte de projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 de l’article 49.3 de la Constitution.

Dès le 7 novembre, le Sénat examinera en séance les dispositions de ce PLFSS 2023. Ce texte a été amendé par la Commission des Affaires sociales du Sénat, près d’une centaine d’amendements ont été adoptés et de nombreux amendements sont en discussion en séance publique.

L’article 30 du PLFSS 2023 propose diverses mesures visant à favoriser l’accès aux médicaments, leur financement et la régulation des dépenses associées. Ces mesures n’ont pas fait l’objet de concertation préalable. Elles ont suscité de nombreuses oppositions et inquiétudes de la part des exploitants, distributeurs. Le Gouvernement a accepté d’abandonner le référencement périodique des médicaments, que les fabricants et pharmaciens avaient jugé dangereux et inadapté, mais a notamment maintenu la réforme du financement des médicaments de thérapie innovante (MTI), sans y apporter de modification.

Les MTI sont des médicaments biologiques incorporant des tissus, des cellules ou bien des gènes. Ils offrent de nouvelles opportunités pour le traitement des maladies pour lesquelles les approches thérapeutiques conventionnelles se sont révélées inefficaces. Ces thérapies innovantes sont, pour beaucoup, dispensés à l’hôpital et remboursés grâce à la « liste en sus », permettant la prise en charge par l’assurance maladie sur présentation des factures de spécialités pharmaceutiques, dans certaines indications définies, lorsque ces indications présentent un caractère innovant[1].

Les prix revendiqués par les laboratoires sont très élevés et toujours en hausse. Cette dynamique interroge sur la capacité du système d’assurance maladie à maintenir un accès à l’innovation et aux MTI pour tous les patients. Dans son rapport d’activité 2020, le CEPS estime que les ventes de la liste en sus ont progressé, pour les seuls médicaments, de 20,6 % entre 2019 et 2020. Neuf spécialités innovantes concentreraient 55 % de la dépense totale[2]. Les MTI s’avèrent très onéreux pour les établissements de santé comme, pour l’assurance maladie. L’étude d’impact jointe au PLFSS souligne ainsi leur prix croissant, affirmant que « le seuil de deux millions d’euros par patient est désormais franchi » et, au-delà, que « ces traitements sont très consommateurs de ressources hospitalières, car ils exigent un recours à des équipes d’expertise poussée et disposant de plateaux techniques adaptés »[3]

Cependant les MTI recouvrent des réalités différentes.

Les 4 types de médicaments de thérapie innovante

Les médicaments de thérapie innovante (MTI) ou Advanced Therapy Medicinal Products (ATMP) se distinguent des médicaments chimiques ou biologiques traditionnels de par leur nature, leur origine humaine, le caractère novateur de leurs procédés de fabrication. Les MTI sont des médicaments biologiques incorporant des tissus, des cellules ou bien des gènes.

Les médicaments de thérapie innovante (MTI), thérapie cellulaire et thérapie génique, ont commencé à être développés dans les années 1990 avec des premiers succès comme le traitement du déficit immunitaire combiné sévère (SCID – Severe Combined ImmunoDeficiency) lié à l’X à l’hôpital Necker-Enfants malades. Ils requièrent de fortes exigences, notamment en matière de qualité et de sécurité.

En 2003, l’Europe attribue un premier statut de médicaments de thérapie innovante aux :

Médicaments de thérapie génique (MTG) Ils contiennent une substance active qui elle-même contient ou constitue un acide nucléique recombinant administré à des personnes en vue de réguler, réparer, remplacer, ajouter ou supprimer une séquence génétique. Leur effet thérapeutique, prophylactique ou diagnostique dépend directement de la séquence d’acide nucléique recombinant qu’il contient ou du produit de l’expression génétique de cette séquence. La thérapie génique par les cellules CAR-T fait appel aux propres cellules immunitaires génétiquement modifiées du patient pour détruire des cellules tumorales.

Médicaments de thérapie cellulaire somatique (MTCS) Ils contiennent ou consistent en des cellules ou des tissus qui ont fait l’objet d’une manipulation substantielle de façon à modifier leurs caractéristiques biologiques, leurs fonctions physiologiques ou leurs propriétés structurelles par rapport à l’usage clinique prévu, ou des cellules ou tissus qui ne sont pas destinés à être utilisés pour la ou les mêmes fonctions essentielles chez le receveur et le donneur. Ils sont présentés comme possédant des propriétés permettant de traiter, prévenir ou diagnostiquer une maladie à travers l’action métabolique, immunologique ou pharmacologique de ses cellules ou tissus, ou sont utilisés chez une personne ou lui sont administrés dans une telle perspective.

Les MTCS sont à distinguer des préparations de « thérapie » cellulaire (PTC) qui ne subissent pas de manipulation substantielle et sont utilisés pour la ou les mêmes fonctions essentielles. Les PTC sont réglementées par la directive européenne 2004/23/CE relative aux tissus et cellules pour « greffe » et ne sont pas pharmaceutiques.

En 2007 est créé définitivement un nouveau type de médicament dit « de thérapie innovante ». Le règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE distingue quatre types de médicaments de thérapie innovante (MTI)[4] :

  • Les médicaments de thérapie génique (MTG)[5] ;
  • Les médicaments de thérapie cellulaire somatique (MTCS)[6] ;
  • Les produits issus de l’ingénierie tissulaire (PIIT), contenant des cellules ou tissus ayant fait l’objet d’une manipulation pour en modifier les caractéristiques biologiques et possédant des propriétés de réparation / régénération ou remplacer un tissu humain
  • Les MTI combinés, sont des médicaments de thérapie innovante (médicaments de thérapie cellulaire, thérapie génique ou d’ingénierie tissulaire) qui intègre dans sa composition les 2 éléments suivants :
    • Un ou plusieurs dispositifs médicaux (DM) ou bien un ou plusieurs dispositifs médicaux implantables actifs (DMIA),
    • Une partie cellulaire ou tissulaire contenant des cellules ou des tissus viables ou une partie cellulaire contenant des cellules ou des tissus non viables susceptible d’avoir sur le corps humain une action qui peut être considérée comme essentielle par rapport à celle des DM ou DMIA

Le règlement européen (CE) n° 1394/2007 encadre les MTI, à la fois pour faciliter leur développement et leur mise sur le marché, et sécuriser leur mise à disposition et leur utilisation chez les patients. Il institue le Comité des thérapies innovantes (Committee for Advanced Therapies – CAT) à l’EMA, chargé notamment de la classification de ces produits et de l’évaluation des dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché. Il confirme le caractère innovant des médicaments de thérapies cellulaires somatiques et des médicaments de thérapie génique et institue une définition juridique des médicaments de thérapie innovante, des produits de l’ingénierie tissulaire et des médicaments combinés de thérapie innovante.

Plan d’action pour l’évaluation des médicaments innovants : données en vie réelle

Le développement et l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des MTI sont précoces. Ils sont essentiellement testés selon des modèles nouveaux, rapides et non conventionnels, principalement dans des études non comparatives et sur de petits effectifs.

Dans son document « Plan d’action pour l’évaluation des médicaments innovants », du 27 janvier 2020, la Haute Autorité de Santé (HAS) analyse les nouveaux enjeux scientifiques liés à ces thérapies innovantes prometteuses dont l’efficacité doit être suivie en vie réelle sur du long terme : « (…) Ces incertitudes engendrent également un basculement de la preuve sur le post-AMM et ne pourront être levées que par des réévaluations successives, ce qui doit d’ores et déjà être intégré dans nos principes d’évaluation. ». C’est pourquoi des données doivent être recueillies, notamment en vie réelle, pour permettre les réévaluations.

La HAS a ainsi déployé un plan médicament composé de 6 mesures dans l’objectif d’anticiper, accélérer et accompagner le déploiement d’innovations utiles et sécurisées au service du patient. L’une de ces mesures est de suivre les médicaments en vie réelle pour vérifier les promesses initiales.

Le suivi des médicaments innovants en vie réelle : basculement de la preuve sur le post AMM

La HAS précise que ces études observationnelles « sont complémentaires des essais cliniques et permettent, en premier lieu, d’observer dans quelle mesure les conditions des essais sont vérifiées dans la vraie vie. Elles sont fondamentales pour la promotion du bon usage et permettent de mieux positionner le médicament dans la stratégie thérapeutique, confirmer ou infirmer les doutes sur la mauvaise tolérance, connaître les caractéristiques des populations effectivement traitées, conclure sur l’impact du médicament sur l’organisation des soins… ». Elle souligne que le besoin d’études en vie réelle va s’accroître avec un nombre croissant de ces médicaments qui arrivent sur le marché avec un niveau d’incertitude élevé sur leur efficacité et leurs effets indésirables en conditions réelles d’utilisation.

Les prix revendiqués par les laboratoires sont très élevés et toujours en hausse. A titre d’exemple, pour le remboursement du Zynteglo, approuvé pour le traitement de la bêta-thalassémie, thérapie à dose unique, la base de négociation avancée par l’entreprise Bluebird Bio était de $1.8 million. Au début du mois d’août 2021, après l’échec d’un accord avec les payeurs européens, l’entreprise pharmaceutique a décidé de se retirer du marché européen. Cette dynamique interroge sur la capacité du système d’assurance maladie à maintenir un accès à l’innovation et notamment aux MTI pour tous les patients.

Modalités de prise en charge dérogatoire des MTI par l’Assurance maladie prévues par le PLFSS 2023

L’article 30, alinéa 3 insère un nouveau paragraphe (V) à l’article L 162-16-6 du code de la sécurité sociale, qui définit les modalités de prise en charge dérogatoire des MTI. Ce dernier propose le recours au contrat de gestion de l’incertitude prévu par l’accord-cadre LEEM-CEPS du 5 mars 2021 avec étalement du paiement sur plusieurs années par l’Assurance Maladie en fonction des données d’efficacité. Le principe de « contrats de gestion de l’incertitude » est fondé sur un partage des risques. Les paiements sont échelonnés et accompagnés de données de vie réelle, post commercialisation, qui permettent de prouver l’efficacité du médicament et, le cas échéant, d’adapter les prix. Si le recours au contrat à paiement échelonné apparait pertinent pour la prise en charge des MTI, l’implémentation envisagée est déconnectée de la réalité. En effet, l’article 30 prévoit un seul forfait de thérapie innovante pour toutes les catégories de MTI, fixé par arrêté. Lorsque le prix demandé par un industriel pour un MTI dépasse ce forfait, le coût du traitement sera déterminé par convention ou, à défaut d’accord, par décision du CEPS, et sera payé par l’Assurance Maladie dans le cadre d’un contrat de gestion de l’incertitude avec paiement échelonné en fonction des données d’efficacité de la thérapie. L’industriel sera en charge du recueil de ces données de vie réelle, transmises par les prescripteurs à l’hôpital.

Mécanisme de la prise en charge d’un MTI :

Le recours au contrat de gestion de l’incertitude permet de limiter des effets sur la trésorerie des hôpitaux et de fractionner le paiement pour la sécurité sociale en tenant compte des résultats en vie réelle sur plusieurs années, et donc d’avoir accès à l’innovation au prix des thérapies probantes, selon le principe du paiement à la performance. Cependant, cette implémentation du contrat à versement échelonné ne tient pas compte de la réalité des MTI et des biotech qui les produisent.

Le choix d’un forfait de thérapie innovante fixée pour toutes les pathologies : un choix déconnecté de la réalité des MTI

La principale critique de cette mesure réside dans l’instauration d’un forfait de thérapie innovante universel.

Comme il a été précisé ci-dessus, la catégorie des médicaments de thérapie innovante regroupe des médicaments aux profils variés (thérapies géniques, cellulaires ou tissulaires), destinés au traitement de pathologies très différentes. La fixation d’un forfait de thérapie innovante unique ne permettrait pas l’adaptation de ce modèle de financement aux particularités des pathologies concernées. Les thérapies géniques ont des coûts de fabrication particulièrement élevés.

Un amendement propose dès lors de fixer le tarif de responsabilité de manière à ce que le montant correspondant au nombre d’unités de médicaments multiplié par ce tarif soit inférieur à un forfait de thérapie innovante fixé par pathologie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

Le choix d’un paiement échelonné pour tous les fabricants de MTI : une absence de prise en compte des biotech spécialisées dans les maladies rares

Les médicaments de thérapie innovante (MTI), notamment les thérapies géniques et cellulaires, constituent une promesse de guérison, en seulement une à deux administrations, de maladies graves, chroniques ou mortelles, dont le traitement impliquait jusqu’à présent la prise de médicaments, à l’efficacité parfois limitée, sur une vie entière. Dans ce contexte, le mécanisme de versements successifs introduit par l’article 30 est souhaitable. Cependant, l’étalement des revenus est difficilement gérable pour les entreprises innovantes commercialisant en France un MTI pour une maladie rare ou ultra-rare et ayant un tout petit portefeuille de traitements, limité à un ou deux médicaments pour certaines. Ces jeunes biotech ne peuvent en effet se permettre d’étaler leurs revenus sur plusieurs années. Un amendement propose donc que les MTI dont le chiffre d’affaires est inférieur à 20 millions d’euros et représente plus de 70 % du chiffre d’affaires total d’une biotech puissent être exclus du mécanisme de versements par convention entre l’entreprise et le CEPS. Ce faisant, il permettra de soutenir la soutenabilité financière de ce type d’entreprises, mais aussi de maintenir l’attractivité de la France pour les biotechs pourvoyeuses de traitements pour des maladies rares et ultra-rares et au profil économique encore fragile et, partant, l’accès rapide des patients français aux thérapies innovantes

Le texte est en discussion au Sénat.

Nous reviendrons sur ce mécanisme après l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale 2023.

A suivre …


[1] Article 2 du règlement (CE) n° 1397/2007.

[2] CEPS, Rapport d’activité 2020, décembre 2021, p. 25

[3] Annexe n° 9 du PLFSS pour 2023, p. 196

[4] Règlement (CE) n° 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) n° 726/2004.

[5] Partie IV de l’annexe I de la directive 2001/83/CE du Parlement et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

[6] Partie IV de l’annexe I de la directive 2001/83/CE précitée. .

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