
Un cadre conventionnel spécifique pour les DM
Eléonore Scaramozzino, Avocate Partenaire de Constellation Avocats
La notion de « dispositif médical » (DM)couvre un ensemble extrêmement vaste de produits. Le règlement européen 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux les définit comme « tout instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif, matière ou autre article, destiné par le fabricant à être utilisé, seul ou en association, chez l’homme » à des fins médicales. Les dispositifs médicaux peuvent être commercialisés après obtention du marquage « CE », attestant de leur conformité aux exigences de sécurité et de performance du règlement sur les DM. Leur prise en charge par l’assurance maladie, en ville ou sur la liste en sus hospitalière, est conditionnée à leur inscription sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) de l’article L 165-1 CSS, après avis de la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) de la Haute Autorité de santé (HAS). Les DM se caractérisent par une très grande diversité des modes de distribution, de régulation tarifaire et de niveaux de remboursement par la Sécurité́ sociale.
L’article 31 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2023 (PLFSS 2023), intitulé « Garantir l’accès des patients aux dispositifs médicaux, produits et prestations et l’efficience de leur prise en charge » porte plusieurs mesures de régulation des dispositifs médicaux et prestations, remboursés dans le cadre de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) prévue à l’article L 165-1 du code de la sécurité sociale. Il introduit une régulation des dispositifs médicaux remboursables, qui reprend les principaux éléments de la régulation des médicaments et instaure un cadre conventionnel spécifique aux DM.

Cette réforme nécessite l’adoption de décrets en Conseil d’Etat.
1 Transparence dans la tarification des DM : dissociation produit-prestation-distributeur
En l’état actuel du droit, les dispositifs et prestations associées font l’objet d’une tarification globale, définie à l’article L. 165-2 CSS. Aux termes de cet article, le Comité économique des produits de santé (CEPS) négocie avec les exploitants et distributeurs un tarif de responsabilité, qui englobe le produit et la prestation associée, mais aussi la marge du distributeur au détail.
L’article 31 prévoit :
- De distinguer le DM et la Prestation de service. L’inscription sur la LPP sera spécifique pour le DM, prestation. L’avis préalable de la HAS devra porter, de manière distincte sur le produit et sur la prestation de service (adaptation des articles L 165-1 et L 165-2 CSS) ;
- Pour les DM inscrits sous forme de nom de marque ou de nom commercial, le tarif de responsabilité du produit et celui de la prestation seront établis par négociation entre le CEPS et l’exploitant (modification de l’article L 165-3 CSS).
- Les marges des distributeurs seront fixées par arrêté en tenant compte de l’évolution des charges, des revenus et du volume d’activité des praticiens et entreprises concernées (nouvel article L. 165-3-4). Comme pour la vente des médicaments, la marge des officines est déterminée par voie réglementaire. Ce qui permettra d’éviter un système de marge dégressive lissée (MDL) visant à ne pas inciter les pharmaciens à vendre les produits les plus chers. Afin d’éviter que cette réglementation des marges ne soit contournée par la voie de remises, ristournes ou avantages commerciaux accordés par les fournisseurs aux distributeurs, le nouvel article L. 165-3-4 encadre ces pratiques, en prévoyant que ces avantages ne pourront excéder un pourcentage, par année civile et par ligne de produits, du prix exploitant hors taxes, dans la limite de 50 %. ;
- L’exploitant, lorsqu’il n’est pas le fabricant, est tenu de déclarer auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale le prix auquel il a acheté son produit auprès du fournisseur. À défaut, ou si les informations transmises apparaissent inexactes, les mêmes ministres peuvent prononcer une pénalité pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France au titre du dernier exercice clos. Un décret en Conseil d’État doit venir préciser les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle obligation et des contrôles afférents.
Ces dispositions entreront en vigueur dans des conditions et à des dates fixées par décret, et au plus tard le 31 décembre 2025, en fonction des catégories de produits ou prestations concernées.
2 Régulation des inscriptions et amélioration des contrôles pour lutter contre les fraudes
2.1 Régulation des inscriptions à toutes les indications autorisées dans le marquage « CE »
Le marquage « CE » est accordé sur un périmètre qui peut recouvrir plusieurs indications, c’est-à-dire plusieurs situations ou pathologies pour lesquelles le dispositif est efficace.
Lorsqu’elles demandent l’inscription de leur produit sur la liste de l’article L. 165-1 (LPPR), les entreprises peuvent choisir :
- De demander l’inscription pour toutes les indications entrant dans le périmètre du marquage « CE » ;
- De ne demander cette inscription que sur une partie des indications entrant dans le périmètre du marquage « CE ».
Si une entreprise ne demande l’inscription au remboursement de son produit que dans l’indication pour laquelle le service attendu/service rendu (SA/SR) de ce produit est le plus important, tel qu’évalué par la Haute Autorité de santé (HAS), cette pratique aura pour effet mécanique de rehausser artificiellement le prix du dispositif. En effet, le prix des DM, fixé conventionnellement avec le CEPS, ou le cas échéant par décision de ce dernier, tient compte de l’ASA comme des volumes de vente anticipés. Ce produit efficace dans des indications plus larges que son inscription au remboursement, pourra se trouver prescrit pour les indications non inscrites au remboursement.
Il en résulte ainsi un double préjudice pour la collectivité :
- Un prix plus élevé que ce qu’il aurait dû être si toutes les indications avaient été prises en compte,
- Un bénéfice potentiellement restreint à une catégorie de patients, alors que le produit aurait pu profiter à d’autres.
Comme pour le médicament (article 30 du PLFSS 2023), l’article 31 prévoit :

2.2. Renforcement des contrôles pour les DM inscrits sur les lignes génériques
Les produits inscrits à la LPPR sous nom de marque sont évalués par la HAS (CNEDiMTS) pour déterminer le niveau de service attendu (SA) et l’augmentation du service attendu (ASA). En revanche, ceux inscrits sur les lignes génériques, relève du régime de déclaration de l’exploitant auprès de l’ANSM. L’inscription sous description générique donne accès au tarif de remboursement associé à la ligne concernée. Dès lors, il n’y a pas de contrôle du respect des spécifications techniques minimales requises mentionnées dans la convention conclue avec le CEPS.
Afin d’éviter les fraudes sur les DM commercialisés qui ne respecteraient pas les spécifications requises, l’article 31 prévoit :

2.3- Systématiser l’évaluation ex post des DM en vie réelle : recueil des data
L’objectif est de systématiser une évaluation post commercialisation des DM par le recueil des données de vie réelle et la réalisation d’études post-inscription et donc instaurer une phase IV, comme pour les médicaments.
Le régime actuel prévoit que :
- L’inscription sur la LPPR et la prise en charge des dispositifs peut être assortie d’une obligation d’évaluation post-inscription (Article L. 165-5 CSS). Les résultats de ces études devront être fournis à la commission lors du plus prochain renouvellement d’inscription ;
- L’accord-cadre conclu entre le CEPS et les syndicats ou organisations regroupant les exploitants et distributeurs peut également définir les conditions et modalités de mise en œuvre de telles études post-inscription ;
- La prise en charge des dispositifs médicaux inscrits sur la LPPR ou remboursés aux hôpitaux au titre des groupes homogènes de séjour (GHS) peut être subordonnée au recueil et à la transmission d’informations relatives aux patients traités, au contexte de la prescription, aux indications dans lesquelles le produit ou la prestation est prescrit et aux résultats ou effets de ces traitements.
Cependant, l’étude d’impact annexée au PLFSS 2023 montre que cette obligation de recueil et transmission de données post évaluation n’est pas toujours respectée.
L’article 31 prévoit de :
- Étendre l’obligation de recueil de données en vie réelle des établissements de santé aux actes et dispositifs « nécessitant un encadrement spécifique pour des raisons de santé publique ou susceptibles d’entraîner des dépenses injustifiées », au sens de l’article L. 1151-1 du CSP (modification l’article L. 162-17-1-2 du CSS) ;
- Introduire une sanction pour absence de transmission des résultats de l’étude postérieure à l’inscription à la LPPR prévue dans la convention CEPS-exploitant/ distributeur dans les délais impartis, qui fait obstacle à la poursuite de la prise en charge du produit ou de la prestation, sauf versement de remises par l’exploitant ou le distributeur concerné (article L. 165-4-1 CSS complété) ;
- Subordonner la PECT des dispositifs n’étant pas encore inscrits à la LPPR au respect, par l’exploitant, d’un protocole de recueil de données, à sa charge, défini par la CNEDiMTS (article L 165-1-5 CSS modifié) ;
- Obliger les établissements de santé, qui sont en principe tenus de remplir des registres comportant des données de vie réelle sur certains actes qu’ils sont amenés à pratiquer, de transmettre ces informations à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH). La prise en charge de ces actes sera conditionnée à cette transmission effective.
Ces dispositions visent à contraindre les entreprises et établissements de santé à se conformer à leurs engagements de recueil de données et de réalisation d’études ex post, une fois le produit inscrit.
3 Compléter les régimes de PECT des DM innovants et le régime de la télésurveillance
3.1 Compléter les régimes de prise en charge des actes innovants liés aux dispositifs innovants bénéficiant les PECT
L’article 31 vise à compléter le dispositif de prise en charge transitoire prévu à l’article L. 165-1-5, afin de permettre la prise en charge précoce des actes associés à l’utilisation d’un produit bénéficiant de la PECT, et non encore inscrit dans la classification commune des actes médicaux (CCAM) prévue à l’article L. 162-1-7 CSS. L’inscription provisoire des actes nécessaires à l’utilisation des DM bénéficiant d’une PECT n’a pas été prévue dans le dispositif initial de l’article L. 165-1-5 CSS. L’article 31 dispose que les ministres peuvent, par dérogation aux règles de l’article L. 162-1-7, procéder à l’inscription transitoire d’un acte dans la CCAM, lorsque l’utilisation d’un produit bénéficiant de la PECT en dépend (Article L. 165-1-5-VI CSS).
Les ministres doivent auparavant recueillir l’avis de la HAS, qui doit donc se prononcer à la fois sur le produit et sur le ou les actes associés à l’utilisation de ce produit.
L’inscription transitoire de l’acte sur la CCAM dure aussi longtemps que dure la prise en charge transitoire du produit associé, et se prolonge une fois ce produit pris en charge dans le droit commun, jusqu’à ce que l’acte soit également inscrit dans les conditions de droit commun sur la CCAM. Le dispositif de prise en charge transitoire est conditionné à la mise en œuvre d’un protocole de recueil de données en vie réelle par l’exploitant, à la charge de ce dernier.
La prise en charge est accordée par arrêté ministériel, pour une durée d’un an renouvelable, et strictement conditionnée au dépôt d’une demande d’inscription sur la LPPR dans un délai de douze mois. Le montant de la prise en charge est négocié. Dès lors que ces produits sont utilisés dans le cadre d’une hospitalisation, les produits et actes sont pris en charge en sus des prestations d’hospitalisation soit hors GHS. Le tarif facturé à ces établissements correspond alors, sauf opposition des ministres de la santé et de la sécurité sociale, au montant de la compensation maximale demandée par l’exploitant. Lorsqu’un produit ayant fait l’objet d’une PECT est inscrit sur la LPPR, une convention conclue avec le CEPS détermine le prix net de référence du produit ou de la prestation. Si celui-ci s’avère inférieur à la compensation maximale perçue pendant la période de PECT, l’exploitant sera tenu de verser des remises à hauteur de la différence entre le montant facturé et le prix net de référence multiplié par le nombre d’unités. Un tarif de responsabilité pour les DM inscrits en nom de marque commercial sera fixé par convention entre le CEPS et l’exploitant.
Cette réforme entre en vigueur dans des conditions fixées par décret et au plus tard le 31 décembre 2025.
3.2 Complément au régime de la prise en charge de la télésurveillance
La prise en charge de la télésurveillance a été généralisée dans le droit commun dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Cette loi a introduit dans le code de la sécurité sociale une nouvelle section (articles L. 162-48 à L. 162-57 CSS) qui définit les modalités de prise en charge des activités de télésurveillance. Les activités de télésurveillance doivent être évaluées par la HAS puis inscrites sur une liste spécifique. Les forfaits sont déterminés en fonction des moyens humains nécessaires à la surveillance médicale et des caractéristiques des dispositifs médicaux numériques, et modulables à la hausse ou à la baisse en fonction de certains critères. L’entrée en vigueur du remboursement de droit commun des activités de télésurveillance était initialement prévue au plus tard le 1er juillet 2022.
Le dispositif de télésurveillance est complété à la marge sur les points suivants :

4. Sécuriser un cadre conventionnel spécifique aux DM
Les conventions conclues par le CEPS avec les entreprises du dispositif médical sont encadrées par l’article L. 165-4-1 du code de la sécurité sociale, lequel renvoie à l’article L. 162-17-4 relatif aux conventions conclues avec les entreprises du médicament. L’étude d’impact jointe au PLFSS souligne que ces dispositions doivent être adaptées aux spécificités de la LPPR, notamment pour prévoir la conduite désormais nécessaire de négociations séparées concernant les produits et les prestations.
Pour définir un cadre conventionnel spécifique aux DM, l’article 31 prévoit que :
– les entreprises signataires doivent s’engager à respecter la charte mentionnée à l’article L. 162‑17‑9 et, à faire évaluer et certifier par des organismes accrédités la qualité et la conformité à cette charte de la visite médicale qu’elles organisent, ou qu’elles commanditent.
– en application des orientations qu’il reçoit chaque année des ministres compétents, le CEPS conclut des conventions relatives aux produits et aux prestations de la LPPR avec les entreprises qui les exploitent et les distribuent ou, en cas d’inscription générique, avec les organisations les regroupant ;
– les conventions déterminent notamment les remises consenties par les signataires, les conditions et modalités de mise en œuvre des études postérieures à l’inscription sur la LPPR et les dispositions applicables en cas de non-respect de ces engagements ;
– lorsque les dispositions conventionnelles adoptées ne sont plus compatibles avec les orientations ministérielles retenues, avec le respect de l’Ondam ou avec les données scientifiques et épidémiologiques disponibles : le CEPS peut demander aux entreprises de conclure un avenant en cas de refus, résilier la convention ou certaines de ses dispositions et fixer par décision unilatérale le prix des produits et des prestations.
Les modalités d’application de ces dispositions, et notamment les conditions de révision et de résiliation des conventions, doivent être précisées par décret en Conseil d’État.
